Figurent également dans la liste des dépenses éligibles, les cours et ateliers de pratiques artistiques: danse, musique, théâtre, arts plastiques, chant… L’expérimentation du Pass ayant débuté le 1er février 2019 auprès de 10 000 jeunes, il est intéressant de s’interroger sur les problématiques spécifiques d’une mesure qui ambitionne de faciliter l’accès à la pratique artistique chez les jeunes adultes.
Dans cette analyse nous tirons parti de notre expérience auprès du site Haut Les Cours, guide de recommandation de cours de pratiques artistiques à Paris. En effet ce site est confronté à des problématiques comparables à celles du pass Culture, notamment pour ce qui concerne l’éditorialisation des offres.
Une large place faite aux pratiques artistiques
Le Pass Culture fait une place de choix aux pratiques artistiques « actives »: cours et ateliers de danse, musique, théâtre, arts plastiques, chant…
En effet, les jeunes ne sont pas seulement des spectateurs, des lecteurs ou des auditeurs. Ils sont également des pratiquants de disciplines artistiques (ou sont susceptibles de le devenir). Le projet de Pass Culture semble avoir été, dès le départ, attentif à cette dimension.
Le coût d’une année de cours de pratique artistique est élevé, en général plusieurs centaines d’euros. De par son montant significatif, 500 euros, le Pass est de nature à lever en grande partie l’obstacle financier. D’autant que, contrairement aux offres en ligne et aux livres, plafonnés à hauteur de 200 euros, aucun plafond n’a été fixé pour les cours.
Des objectifs ambitieux
L’objectif du Pass Culture est très ambitieux : ouvrir les horizons culturels des jeunes de 18 ans en les incitant à découvrir des œuvres et des pratiques qu’ils n’auraient peut-être pas connues en l’absence du dispositif.
Cette ambition est particulièrement grande pour ce qui concerne la pratique artistique. En effet celle-ci suppose une implication active du participant et idéalement un engagement à long terme. Toutes choses qu’il peut être difficile de susciter chez un public éloigné des pratiques culturelles encouragées par le Pass.
Disons-le d’emblée, tous les jeunes ne seront pas intéressés par des cours de pratiques artistiques, que ce soit faute de goût ou de temps. En revanche, pour ceux qui en ont le désir mais le censurent, manquent de moyens financiers ou tout simplement ont besoin que se présente une occasion, le Pass Culture peut avoir des effets puissants. A charge aux offreurs de s’assurer qu’ils proposent des offres adaptées à ces jeunes.
Néanmoins, le fait que tous les jeunes ne convertiront pas leurs 500 euros en cours et autres ateliers est sans doute un bien pour l’équilibre financier du projet, car il s’agira d’offres coûteuses en termes de budget.
Il semble que la philosophie générale du Pass Culture vise à multiplier les découvertes et les expériences chez les bénéficiaires. Cependant, dans le cadre des pratiques artistiques il faudra que les offres combinent intelligemment cours d’essai et stages ponctuels (afin que les jeunes puissent découvrir une ou plusieurs activités) et formules d’abonnement de plus long terme (pour qu’ils s’engagent véritablement dans une pratique).
La plupart des pratiques artistiques sont susceptibles d’attirer un public jeune : la danse, la musique, le théâtre et l’improvisation théâtrale, le chant, le dessin… Leur côté actif et le fait que beaucoup se pratiquent en groupe devraient leur permettre de séduire des jeunes de 18 ans.
Les jeunes vont-ils mordre aux offres? Les obstacles à la pratique
Pour comprendre les spécificité d’un public jeune nous avons envoyé un questionnaire sur les 16–20 ans aux professeurs de pratiques artistiques référencés par le site Haut Les Cours. Nous souhaitions en particulier comprendre les freins qui existent à la pratique artistique au sein de cette tranche d’âge.
Voici les enseignements que nous en avons tirés:
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- Le public des très jeunes adultes semble relativement peu présent dans les cours de danse, théâtre, dessin; il est apprécié des professeurs car il apporte du dynamisme aux séances. Il ne faut cependant pas oublier le fait que beaucoup de jeunes pratiquent leurs loisirs au sein de clubs universitaires, que nous n’avons pas sondés.
- Le coût est un obstacle fréquemment mentionné par les professeurs pour expliquer le déficit de jeunes adultes dans leurs cours. Malheureusement des tarifs étudiants sont rarement proposés.
- D’autres freins mentionnés sont: la concurrence avec les études et les autres activités sociales; le planning des études organisé sur une base semestrielle, qui rend plus difficile un engagement à l’année.
- Certains professeurs voient revenir les élèves qu’ils ont eus adolescents lorsque ceux-ci entrent dans la vie active. Il y a souvent une interruption de la pratique entre l’adolescence et le début de la vie active (ou alors la pratique est poursuivie dans le cadre universitaire).
- Dans certaines pratiques, les motivations qui poussent à suivre un cours peuvent être liées à un projet professionnel: notamment en dessin (pour préparer des écoles d’art et de création).
La plupart des pratiques artistiques sont néanmoins susceptibles d’attirer un public jeune : la danse, la musique, le théâtre et l’improvisation théâtrale, le chant, le dessin… Leur côté actif et le fait que beaucoup se pratiquent en groupe devraient leur permettre de séduire des jeunes de 18 ans.
Des effets très structurants sur le rapport à la culture
On l’a dit, se donner pour objectif de promouvoir les pratiques artistiques chez les jeunes est ambitieux. Mais en retour les bénéfices attendus pour les individus peuvent être importants.
En effet, la pratique du théâtre, de la danse, de la musique, du dessin peut être particulièrement enrichissante et transformatrice pour la personne, voire donner naissance à une véritable passion.
Par ailleurs la pratique est prescriptrice d’autres modes de consommation culturelle. Par exemple un pratiquant de théâtre amateur n’aura pas nécessairement une culture théâtrale étoffée en débutant, mais pourra être conduit à aller davantage au théâtre au fil de son parcours de comédien. Danser peut donner envie d’aller voir des spectacles professionnels ; dessiner pousse à s’intéresser aux œuvres des maîtres et aux collections des musées.
La pratique d’une activité artistique est source de liens forts et durables avec la discipline dans sa globalité : le pratiquant est aussi spectateur, lecteur des textes intéressant sa discipline, visiteur des musées qui lui sont consacrés…
Mixité et lien social
La pratique d’une activité artistique est fortement corrélée au milieu social d’origine. Elle commence souvent dans l’enfance, notamment au sein des catégories sociales favorisées, qui y voient un atout en termes d’éducation et d’épanouissement de leur enfant. C’est tout particulièrement vrai pour des activités comme l’apprentissage d’un instrument ou la danse classique.
Cependant il est permis de penser que les associations et les cours sont aussi les lieux d’une certaine mixité sociale, à la manière des clubs de sport. Si l’on prend le cas de la danse, les pratiquants d’un cours de modern jazz ont sans doute en moyenne des origines sociales plus diversifiées que les spectateurs de ballet.
Par ailleurs, au-delà de sa dimension purement culturelle, la pratique artistique alimente le tissu associatif. Prendre des cours de danse ou de théâtre implique fréquemment d’adhérer à une association. Association dans laquelle on pourra être amené à s’investir. Cet impact secondaire potentiel sur l’engagement associatif mériterait d’être creusé.
Origine sociale et destin culturel
Une des objections fréquemment soulevées à l’encontre du Pass Culture est qu’il cible les jeunes à un âge, 18 ans, auquel ils seraient déjà des individus formés, aux habitudes bien établies. Selon ces critiques, mieux vaudrait mener des actions d’éducation artistique auprès des enfants, dans le cadre de l’école primaire ou du collège. Cette objection au Pass Culture repose sur le postulat que les déterminismes sociaux s’ancrent durant les premières années de la vie et qu’en agissant auprès des jeunes adultes il est déjà trop tard.
Cette objection est cependant elle-même critiquable. S’il est vrai qu’on ne deviendra pas virtuose en commençant un instrument ou la danse à 18 ans, cet âge reste celui d’une grande capacité d’apprentissage et surtout de l’autonomisation des passions et des désirs.
Les défenseurs d’actions d’éducation artistique centrées sur l’école primaire font donc leur le postulat qu’à 18 ans, les destins culturels sont déjà joués. C’est une vision très pessimiste et quelque peu contradictoire avec l’inspiration progressiste et volontariste qui anime certaines critiques du Pass Culture.
La période d’expérimentation qui s’ouvre devrait être l’occasion de tester l’appétence des jeunes pour les pratiques artistiques et la capacité des écoles, professeurs et associations à répondre aux spécificités de leurs demandes.